Je travaille sur un livre d’entretien qui va sortir bientôt aux éditions Textuel, sur la crise que nous sommes en train de vivre, Face à la crise : l’urgence écologiste. Ce qui me frappe, c’est la déconnexion entre le réel le plus matériel, c’est à dire "qu’est-ce qu’on mange ?", et la façon dont se manifeste la crise. On est parti d’une situation, en 2007, et même dans la première moitié de l’année 2008, où tout le monde disait "On est en crise, une crise mondiale, et d’abord alimentaire". Quand cette crise a finalement touché la finance, par des mécanismes évidents (la faillite des petits salariés américains qui, face à la hausse du prix des aliments et de l’essence, n’ont pas pu rembourser leur maison, ce qui a mis en faillite les banques qui leur avaient prêté, puis les compagnies d’assurance qui assuraient les banques...), on a complètement oublié, dans la presse et les conférences internationales, qu’on était dans une crise alimentaire mondiale. Le modèle de développement en crise est arrivé à un niveau d’abstraction extraordinaire, où cet acte le plus élémentaire de la vie humaine et animale, celui de se nourrir, a été transformé en espèce de machin industriel qui ne se différencie pratiquement plus du financier, au prix d’un gaspillage incroyable d’espace (l’empreinte écologique) et au prix d’un gaspillage incroyable des produits eux-mêmes, aboutissant aux situations effroyables aussi bien dans le tiers monde que chez les glaneuses des poubelles parisiennes.
Ce monde-là est en train de s’écrouler. Quelle est la réponse ? Il est certain, puisque c’est un modèle à la fois libéral et productiviste, qu’il faudra plus d’intervention de la puissance publique, plus de régulation, etc. Mais cette intervention publique ne doit certainement pas continuer à financer à coup d’argent public ce modèle industriel qui nous a conduits dans la crise. Une transformation du modèle de production des aliments doit être son premier objectif.